Du choix raisonné des instruments de musique en tango argentin.

Chaque musicien de tango argentin a un style qui lui est propre. Il reflète ses idées musicales telles que la préférence pour la mélodie, l’attachement préférentiel au rythme, le goût du son étiré, la préférence des scansions rythmiques, le penchant pour le jeu legato, etc.

De même qu’une voix se caractérise par son timbre, une musique est souvent empreinte d’une couleur, d’un climat. À l’image d’un peintre qui a plusieurs couleurs à sa disposition et qu’il associe pour créer son paysage pictural, un musicien d’une certaine façon fait exactement la même chose en utilisant les instruments de musique aux couleurs variées qui sont autant de moyens pour créer sa palette sonore. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la littérature consacrée à la peinture et à la musique emploie souvent des expressions liées aux couleurs pour parler de musique, et aux sons pour parler de peinture. Ainsi une voix de ténor sera cuivrée ou blanche, une voix de basse pas suffisamment noire, un orchestre aura de belles couleurs, les couleurs d’un tableau sont chantantes et les images sont sonores, etc.

Par conséquent, le choix des instruments (ce qui a pour corollaire d’en exclure certains) est un élément très important surtout en matière de composition pour un musicien. Aussi faut-il bien les connaître avant d’examiner les raisons pour lesquelles ils sont choisis ou délaissés par les musiciens de tango argentin et d’examiner leur intégration à l’orchestre, l’influence de leur quantité et les conséquences de leur placement dans l’orchestre qui n’est pas neutre.

La variété des instruments de musique utilisée en tango argentin est beaucoup plus importante que l’on pourrait le penser durant l’histoire de ce genre musical. Aussi, le plus simple est de les étudier selon les catégories traditionnelles empruntées à la musique occidentale.

Ils peuvent se regrouper en plusieurs catégories :

– Les cordes.
– Les vents.
– Les timbales.
– Les percussions.
– Une catégorie qui englobe divers autres.

LES CORDES.

Ce groupe est homogène et se compose des violons, altos, violoncelles et contrebasses.
Les cordes sont frottées ou pincées.

1) Le violon.

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Instrument né en Italie au XVIe siècle qui se compose de trois parties : la caisse de résonance, le manche et les cordes (sol, ré, la, mi).

Il a la tessiture la plus aiguë de cette famille.

À lui revient le chant mélodique. Il forge le son de l’orchestre.

2) L’alto.

alto

De forme il est assez comparable au violon en étant toutefois plus gros. Il est plus grave d’une quinte par rapport au violon. Il comporte quatre cordes (do, sol, ré, la).

Sa sonorité est chaude et grave mais peut aussi être pénétrante dans l’aigu. Il peut tout aussi bien jouer la mélodie que s’unir à l’harmonie ou être cantonné à un rôle d’accompagnement.

C’est donc un instrument charnière qui assure l’homogénéité des cordes tout entières.

3) Le violoncelle.

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Cet instrument apparu postérieurement au violon au XVIe siècle est proche de la voix humaine. Il est accordé une octave en dessous de l’alto. Sa tessiture est particulièrement grande. C’est un instrument mélodique au chant noble en ce qui concerne les graves mais qui contribue à l’assise harmonique et rythmique des contrebasses.

4) La contrebasse.

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Apparue au début du XVIIe siècle, cet instrument est le plus grave des cordes qui assure le fondement harmonique et rythmique de l’orchestre, c’est-à-dire son assise. En tango argentin, cet instrument peut considérablement aider un danseur qui est perdu au niveau du rythme : en individualisant la contrebasse (de l’orchestre ou du disque) et en la suivant, il retrouvera le rythme.

LES VENTS.

Les instruments à vent se divisent en deux catégories : les bois et les cuivres qui forment l’harmonie.

Cette catégorie est hétérogène.

LES BOIS.

On les appelle aussi la petite harmonie et de façon moins poétique, « la volaille« . Les instruments qui appartiennent à cette catégorie se caractérisent par leur élégance sonore. Ses instrumentistes sont des solistes même si les pupitres peuvent être doublés, triplés par exemple et n’ont pas le jeu collectif des cordes.

Ils se divisent en quatre pupitres : flûte, hautbois, clarinette et basson.

1) La flûte.

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Instrument qui remonte à la nuit des temps. La Préhistoire connaissait la flûte sous différentes formes. La flûte moderne est le seul instrument métallique des bois.

Elle représente le chant de la petite harmonie. Sa tessiture est aiguë (une octave plus haut que le hautbois) ce qui lui permet de se faire entendre sans aucun problème dans tous les tutti sachant que sa justesse est capricieuse.

2) Le hautbois.

1hautbois

Instrument connu dès l’Antiquité dont l’importance est particulièrement grande dans un orchestre (c’est lui qui donne le la sur lequel tout l’orchestre s’accorde). Cet instrument à anche double a la particularité d’être extrêmement difficile à jouer.

C’est un instrument chantant.

3) La clarinette.

clarinette

Cet instrument à anche simple est apparu à la fin du XVIIe siècle. C’est celui qui possède la plus grande tessiture. Son apprentissage est simple par rapport aux autres instruments (mais difficile pour atteindre un haut niveau). Souvent, on l’apprenait dans les harmonies municipales. On le retrouve dans toutes sortes de musiques (classique, jazz, klezmer, etc.) .

Son timbre peut tout aussi bien être sensuel et voluptueux dans les graves que strident dans l’aigu. Elle occupe la place entre la flûte et le hautbois, et le basson qu’elle soutient souvent.

Elle joue un rôle de soliste ou d’accompagnement

4) Le basson.

basson

Instrument apparu en Italie à la fin du XVIe siècle. C’est un des instruments les plus graves de l’orchestre.

LES CUIVRES.

Ils symbolisent la puissance de l’orchestre.
Leur jeu plus ou moins axé sur les accords, suppose une intégration dans le groupe qui est délicate en termes de volume (ne pas écraser le son global), en intonation (ils jouent difficilement piano) et en phrasé.
Ils se caractérisent aussi par la difficulté d’en jouer au niveau physique.

Ils se composent de quatre pupitres : le cor, la trompette, le trombone et le tuba.

1) Le cor.

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Il a pour origine l’olifant qui était fabriqué dans des matériaux (ivoire, etc.). Au XVIIe siècle, il est fabriqué en métal.

C’est un instrument charnière entre les cordes, les bois et les cuivres qui est épuisant physiquement à jouer et sujet aux « canards ». C’est aussi un instrument transpositeur qui le rend difficile et qui peut amener un chef d’orchestre à « s’arracher les cheveux » durant les répétitions (si la partie du cor est en ut et qu’il joue un cor en fa, il sortira un fa s’il joue un do…).

2) La trompette.

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Instrument qui a 3000 ans, inventé en Egypte (ce n’est pas pour rien que Verdi dans son opéra Aida y fait référence).
C’est la reine des cuivres dont la puissance est telle qu’elle peut couvrir une bonne partie de l’orchestre, voire sa totalité.

C’est un instrument éprouvant à jouer et dont le jeu pianissimo est très difficile.

3) Le trombone.

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Son origine remonte au XIIIe siècle.
Il possède toute l’échelle chromatique.
C’est un instrument puissant mais sa sonorité est mœlleuse.

4) Le tuba.

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Instrument récent qui date du XIX e siècle.
C’est la basse des cuivres.
Son jeu n’est pas aisé car il y a un temps de réponse entre le moment où l’instrumentiste souffle et celui où le son sort.

LES PERCUSSIONS.

Elles se distinguent par le caractère déterminé ou indéterminé des instruments.

Les percussions à hauteur déterminée.

1) Les timbales.

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Cet instrument est très important. Dans les orchestres classiques il est considéré comme le plus important après le premier violon.
Il s’accorde grâce à la tension plus ou moins forte de la peau qui recouvre le fût qui est en cuivre le plus souvent.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’intervient pas seulement dans les fortissimo mais aussi dans les passages de phrasé.

2) Le xylophone.

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Apparu probablement en Afrique au XIVe siècle.
Ses sons sont secs et mélodieux.

Les percussions à hauteur indéterminée.

Elles ne jouent pas de notes déterminées.

1) Les cymbales.

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Le son produit dépend de plusieurs facteurs : son épaisseur, sa forme, le diamètre et l’alliage qui sert à sa fabrication.

2) La caisse claire.

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C’est une évolution du tambour militaire.
C’est un des éléments de la batterie.

Le vibraphone.

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Instrument en métal très récent, créé en 1916 à la tessiture étendue pouvant aller jusqu’à 4 octaves ce qui lui permet de jouer la mélodie mais aussi de marquer le rythme.
La particularité de cet instrument réside dans l’effet de modulation proche du vibrato. Il est prisé des jazzmen.

Instruments divers.

Dans cette catégorie figure des instruments très importants.

1) Le piano.

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Instrument dont les cordes sont frappées.
Il a pour origine le piano-forte de l’extrême fin du XVIIe siècle modifié au XIXe siècle qui a donné naissance au piano que l’on connaît aujourd’hui.
Il comporte 88 touches (52 blanches et 36 noires) ce qui lui permet d’avoir une très large palette sonore pouvant être utilisée tant pour la mélodie que pour le rythme avec tous les effets d’intonations possibles du piano au forte (d’où le nom de l’instrument d’origine).

2) La harpe.

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C’est un instrument particulièrement ancien et difficile à accorder et à jouer qui remonte à environ 3500 avant Jésus-Christ et qui est le type-même de l’instrument universel.
Elle se décline en multiples variantes selon les continents. Les cordes sont toujours pincées.
Les pédales dont elle est munie permettent de modifier chaque note de la gamme diatonique (pour jouer les dièses et bémols).
Le son qu’elle produit est immédiat ce qui musicalement a pour conséquence qu’elle est sur le temps avec les dangers potentiels de décalage avec les autres instruments en matière rythmique.

3) L’accordéon.

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Instrument apparu au début du XIXe siècle.
C’est un instrument à vent à anches libres qui produit des sons par ouverture ou fermeture du soufflet conçu aussi bien pour la mélodie que le rythme et l’harmonie.

4) L’harmonica.

hInstrument à anche libre dont les origines orientales sont très lointaines.
Sa facilité de transport car il tient dans une poche en fait l’instrument emblématique du voyageur.
L’harmonica moderne est apparu au XIXe siècle et a fait l’objet de plusieurs variantes.
Sa couleur sonore le rapproche du violon.

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Le bandonéon mérite une place à part car il est lié au tango argentin.

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Apparu au XIXe siècle, cet instrument a pour origine le concertina allemand.
Il appartient à la famille des instruments à anches libres.
La volonté progressive de jouer toutes les tonalités a probablement conduit à son invention en 1854 par Hermann Uhlig. Son faible encombrement et son coût moins cher qu’un harmonium explique son invention, en Allemagne. Il était joué dans les églises ce qui n’est guère surprenant vu que sa sonorité peut s’avérer très proche de celle de l’orgue.
Il a été introduit en Argentine, à Buenos Aires par un marin anglais ou irlandais. On en joue dès 1890.
Il est incorporé dans ce genre musical après la flûte, la guitare, le violon et le piano.

Sa sonorité variée repose sur l’indépendance des mains et le son qui change selon l’ouverture ou la fermeture du soufflet.
Le bandonéon chromatique se caractérise par les notes séquentielles de la gamme (do, ré, mi, fa, sol, la, si, do) alors que le bandonéon diatonique par les touches qui entourent les notes possède un spectre harmonique plus riche et devient bisonore.

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Il ressort clairement de cette classification que certains instruments ont des prédispositions pour la mélodie, d’autres pour le rythme alors que quelques-uns sont polyvalents. Mais il faut se garder de considérer les instruments comme enfermés dans un carcan musical. Une prédisposition pour la mélodie ou le rythme n’interdit pas un changement ponctuel de leur rôle. Ces deux vidéos permettent de comprendre les lignes qui précèdent.

Dans la première vidéo consacrée au Boléro de Ravel, on peut individualiser les instruments (donc reconnaître leurs sons et leur couleur) qui font leur entrée peu à peu et jouent la mélodie dans un « fondu » progressif et combinatoire sur une base rythmique intangible à laquelle ils participent à certains moments pour quelques mesures. Par ailleurs, on peut remarquer la place des instrumentistes dans l’orchestre par grands groupes (les quatre pupitres des bois, etc.).

Dans la seconde vidéo, et plus précisément dans le final de la 5e Symphonie de Tchaikovsky à partir de 43.25, on peut remarquer l’homogénéité globale de l’orchestre avec les grandes fonctions des instruments (la mélodie des cordes qui jouent legato par moments, les accords des cuivres, etc.) mais aussi le rôle changeant voire ponctuellement inversé (les cuivres jouent la mélodie à un moment alors que les cordes marquent le rythme, etc.).
Par ailleurs on peut remarquer le legato des cordes, la puissance des instruments : les cuivres certes, mais aussi la fulgurance des bois qui parviennent à se faire entendre dans le fortissimo de l’orchestre (notamment à partir de 49.39 où les aigus des bois sont brefs mais fulgurants, etc.).

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L’histoire du tango argentin montre que si la majorité des instruments traditionnels est utilisée, leurs associations sont plus limitées alors que certains instruments sont  très représentés.

Les explications de ces choix sont à rechercher dans des considérations à la fois matérielles et musicales selon les époques et la personnalité des musiciens.

Quand le tango argentin s’installe, plusieurs paramètres conditionnent le choix des instruments. Le premier est le côté pratique, aisément maniable des instruments avant toute considération musicale qui s’explique par le caractère itinérant des musiciens allant de lieux en lieux. En ce sens, le tango participe beaucoup plus à la culture du voyage ce qui le distingue des genres folkloriques largement sédentaires.

Dès lors, la flûte, la guitare et le violon pouvant être facilement transportés se sont rapidement imposés. En fonction de ce que nous avons écrit plus haut, ce trio d’instruments avait une logique : le violon jouait la mélodie, la flûte était chargée des fioritures et des embellissements et la guitare marquait le rythme.

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Cuarteto « Pacho » : flûte, violon, guitare, bandonéon.

Le bandonéon remplace peu à peu la flûte vers 1910 et le piano est introduit par Roberto Firpo à cette époque-là pour remplacer la guitare. Bien que le bandonéon fût créé en 1890, il était absent des formations musicales car il a été introduit en Argentine plus tard. Quant au piano qui existait depuis bien longtemps, il était beaucoup trop imposant et lourd pour pouvoir être transporté facilement. Quand Firpo l’incorpore à sa première formation à savoir un trio (violon, piano, clarinette), le tango devenait plus sédentaire que nomade. Certains établissements peuvent donc en acheter un d’autant plus qu’il pouvait servir pour d’autres danses.

L’apparition du piano et du bandonéon a aussi une explication musicale : leur spectre sonore est très large et ils peuvent assurer la mélodie et le rythme avec toutes les variantes et dosages intermédiaires. Le bandonéon a plus de possibilités intrinsèques que le piano de par les caractéristiques changeantes des sons selon l’ouverture ou la fermeture du soufflet et le jeu différencié des deux mains. Sa sonorité est donc plurielle : elle participe à celle des instruments à vent et en fait un substitut à la flûte, alors que dans l’aigu il se rapproche de la sonorité du violon et il peut aussi avoir un son très proche de l’orgue selon la façon dont il est joué. Il présente aussi l’avantage d’être proche de la voix humaine de par son caractère chantant. Le sens dramatique et triste de cet instrument correspondait parfaitement à la couleur de cette musique ce qui explique qu’il soit devenu rapidement l’instrument emblématique de ce genre musical.

Francisco Canaro a introduit la contrebasse.

Canaro, debout au centre et la contrebasse en arrière-plan.

Canaro debout au centre et la contrebasse en arrière-plan.

L’évolution dans le choix des instruments aboutit à la formation de l’orquesta típica : deux bandonéons, deux violons, une contrebasse et un piano. Peu à peu, cette structure s’est développée pour aboutir à des orchestres plus imposants en termes de nombre de musiciens au cours des années 1940 et après, sans même parler des orchestres au nombre de musiciens très important constitués ponctuellement pour une occasion, sachant que la structure typique n’a jamais disparu.

Canaro dirige un orchestre imposant.

Canaro dirige un orchestre imposant.

À ce stade, il convient de s’interroger sur ces deux points et de déterminer les raisons pour lesquelles les musiciens de tango argentin ont globalement doublé les pupitres dans l’orquesta típica (bandonéon et violon) et d’en exclure certains alors qu’a priori ils avaient leur place dans les orchestres constitués de nombreux musiciens.

Dans un orchestre de tango argentin, les places des instrumentistes sont chères pourrait-on dire. Le choix du chef implique nécessairement une exclusion de nombreux pupitres mais révèle aussi ses penchants profonds pour telle ou telle couleur ou intonation musicale.

Doubler les bandonéons et violons dans l’orquesta típica n’est pas une nécessité absolue et sa structure pourrait être tout à fait différente comme par exemple : un bandonéon, un violon, un piano, une contrebasse, une flûte et une clarinette. Le choix d’un fort pupitre de cordes s’explique par l’importance que doit revêtir la mélodie, et la puissance d’un pupitre de bandonéons par la nécessité d’un rythme puissant.

Cette amplification nécessaire de la mélodie et du marquage rythmique pouvait aussi être effectuée par d’autres instruments comme le hautbois, le basson, l’alto, la clarinette, le cor, les timbales, etc., et pourtant ce sont autant d’instruments délaissés dans l’immense majorité des cas. Cela s’explique sans doute par la difficulté de jeu de certains d’entre eux alors que musicalement ils auraient leur place.

Le hautbois par exemple est un instrument capital (c’est lui qui donne le la à tout l’orchestre qui s’accorde sur lui), très chantant mais particulièrement difficile à jouer.

Le basson avec sa tessiture très étendue de trois octaves et une quinte présente l’intérêt de se fondre notamment avec le violoncelle.

La clarinette a un timbre extrêmement sensuel, voluptueux et félin et peut tout aussi bien avoir des graves nobles que des aigus acérés ainsi qu’être dans un rôle de soliste ou de simple accompagnement.

Il existe quelques exceptions :

– Le tuba dont il est si difficile de jouer a été utilisé par Los Tubatango dans les années 1960-1970 et de nos jours par la formation qui a pris sa suite, La Tubatango. Elle joue dans un mode festif reprenant la couleur sonore de ce genre musical du début du XXe siècle.

Los Tubatango en 1967.

Los Tubatango en 1967.

La Tubatango aujourd'hui.

La Tubatango aujourd’hui.

– L’harmonica de Hugo Díaz (1927-1977) avec ses effets percussifs ce qui accroît l’originalité.

– L’accordéon de Richard Galliano. Etc.

Si des instruments sont absents, c’est qu’il présentent une difficulté technique notoire pour la majorité d’entre eux et que certains sont physiquement épuisants à jouer. À l’origine les instrumentistes jouaient d’oreille dans leur grande majorité et n’avaient pas de connaissances musicales importantes tant en théorie qu’en pratique ce qui n’était pas un élément favorable pour jouer ce genre d’instruments. Quant à l’époque moderne, on retrouve ces instruments plutôt lorsqu’un musicien joue avec un orchestre symphonique comme Astor Piazzolla.

Dans les orchestres qui comportent un nombre de musiciens importants, la diversification existe mais néanmoins on retrouve la position dominante des instruments traditionnels si ce n’est que certains instruments les complètent comme par exemple l’alto ou sont introduits pour apporter une originalité musicale comme le vibraphone et la harpe chez Osvaldo Fresedo, la trompette bouchée chez Francisco Canaro, etc..

Sassone et son orchestre.

Sassone et son orchestre avec une prédominance des violons.

Les seuls orchestres ou tous les instruments sont présents sont les formations de type symphonique qui jouent du tango. C’est rare et souvent pour une occasion très précise dont le but n’est absolument pas de faire danser comme ici les Berliner Philarmoniker dirigés par Daniel Barenboím qui jouent El día que me quieras :


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Les associations d’instruments révèlent les conceptions musicales des musiciens et influencent considérablement leur style soit par la combinaison de leurs couleurs respectives soit par la façon dont ils sont joués.

Ainsi, les musiciens comme Fresedo qui privilégient la mélodie font prédominer les cordes qui peuvent être nombreuses dans ce cas et supérieures en nombre aux bandonéons. Ces derniers sont privilégiés par les musiciens qui mettent l’accent sur le rythme comme D’Arienzo.

Cette photo et cette vidéo sont éloquentes : D’arienzo (El Rey del compás) place ostensiblement la ligne de bandonéons au premier plan et sa direction d’orchestre est centrée sur eux ce qui n’exclut pas un solo de violon et dans ce cas le violoniste est au tout premier plan (ce que vous ne verrez pas chez Fresedo par exemple où les variations et solos sont inexistants ou presque) :

ar.

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Des décennies avant, Minotto Di Cicco faisait la même chose avec une ligne de bandonéons impressionnante :

Minotto

Osvaldo Fresedo qui privilégie la mélodie et le lyrisme fait l’inverse : il place les cordes devant qui sont plus nombreuses que les bandonéons :

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À cet aspect de sélection des instruments s’ajoute leur disposition dans l’orchestre qui influe sur la sonorité globale et qui accentue le rôle qui leur est assigné.

En musique classique et dans l’opéra, la disposition n’est pas immuable (indépendamment du placement des musiciens d’orchestre selon les écoles allemande, française, etc.) En fonction de certaines oeuvres, les pupitres sont placés différemment. À titre d’exemple, le chef d’orchestre Nello Santi n’hésitait pas à placer les violoncelles au tout premier plan, devant lui, pour des raisons musicales dans certains opéras de Verdi comme I Vespri Siciliani.

Dans le tango argentin, le placement des musiciens a aussi son importance.

Cette photo est intéressante car c’est un des très rares cas à avoir une inversion : le piano est à droite et la contrebasse à gauche. Mais il s’agit d’un piano droit et ce n’est pas gênant alors qu’avec un piano à queue, on perdrait du son aussi bien pour le public que pour les autres musiciens (mais que pouvait voir ce pianiste du reste de l’orchestre quand il jouait de dos ?) :

Orquesta Miguel Padula
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Dans certains cas un instrument qui a un rôle déterminant est placé au premier plan en position de soliste. Astor Piazzolla jouait très souvent en position avancée par rapport au reste de l’orchestre qu’il soit symphonique ou plus restreint. Troilo aussi dans certains cas. Cette mise en valeur d’un instrument est aussi présente de nos jours comme le montre cette photo de Color Tango où le bandonéon se démarque nettement :

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Le piano est disposé en retrait et en règle générale derrière les autres musiciens pour des raisons pratiques car l’installer devant masquerait les autres instrumentistes.

Le piano chez Osvaldo Pugliese est particulièrement important d’autant plus qu’il en assurait le jeu. Il est placé le plus souvent au fond ou sur le côté gauche. Le plus intéressant est son emplacement au milieu entouré par les autres musiciens ou entre la ligne de bandonéons et de cordes ces dernières étant placées derrière eux.

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Ce sont ces considérations qui expliquent la place plus ou moins avancée du chanteur par rapport à l’orchestre.

Sur cette photo, le chanteur Roberto Maida a un rôle si important qu’il est placé très en avant au point de ne pas voir le chef qui doit plutôt le suivre :

maida canaro

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Au contraire ici, le chanteur Ángel Díaz fait partie intégrante de l’orchestre de Salgán mais sur un pied d’égalité :

Díaz

Une formation musicale idéale n’existe pas en soi mais on peut tenter de définir néanmoins celle qui serait la plus adaptée au tango argentin en général car chaque formation (trio, quartet, etc.), a son intérêt musical. À notre avis, ce serait l’octuor constitué de : deux bandonéons, un violon, un violoncelle, une contrebasse, un piano, une clarinette et une flûte. Pourquoi ? Cette association permet à tous les instruments de se compléter au-delà de leur caractère commun de pouvoir jouer la mélodie et de marquer le rythme ce qui permet des combinaisons complexes et riches. En effet, le tapis de cordes est homogène, les deux bandonéons peuvent jouer à l’unisson le marquage rythmique ou non et dans ce cas-là, l’un peut marquer le rythme et l’autre participe à la mélodie, situation identique pour le piano, les autres instruments assurant la charnière de l’ensemble aux possibilités combinatoires particulièrement étendues.

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