Miguel Caló

Miguel Caló est né à Buenos Aires en 1907. Ses parents, très peu fortunés, avaient quitté la région des Pouilles en Italie pour aller vivre en Argentine (voir note 1). Très tôt, il a été attiré par la musique à tel point qu’il a acheté à 13 ans un vieux violon avec son maigre argent de poche avant qu’un de ses oncles lui achète un bandonéon. Il délaisse alors le violon un an après pour s’intéresser avec passion à l’instrument emblématique du tango et il suit une formation musicale complète, théorique et pratique.

Très timide, il joue pourtant en public après les encouragements d’un musicien de son quartier. Mais financièrement la situation de sa famille est très difficile car ses parents ont 16 enfants (il a 10 sœurs et 5 frères) ce qui le contraint à quitter l’école pour travailler et ainsi pouvoir les aider.

À 18 ans, il travaille dans les salles de cinéma comme l’Independencia qui projettent des films muets comme l’ont fait la plupart des musiciens de l’époque comme Biagi et D’Arienzo. C’est d’ailleurs dans une salle de cinéma qu’il passe une audition avec un de ses amis pianiste et qu’il obtient un contrat d’un an et demi doté d’un salaire très important qu’il donne immédiatement à son père. Le directeur de l’établissement avait été en effet impressionné par la qualité de son jeu.

En 1926, il fait partie de divers orchestres et non des moindres. Ainsi, il joua en tant que bandonéoniste dans l’orchestre de Fresedo ce qui marque le vrai début de sa carrière. L’année suivante, il intègre la formation musicale de Francisco Pracánico et la dirige même parfois. Cet orchestre accompagnait Azucena Maizani.

En 1929, il décide de créer son propre orchestre qui durera très peu de temps car il préfère accepter la proposition de Cátullo Castillo de le suivre dans sa tournée en Espagne à laquelle participent de grands noms comme Roberto Maida (qui a beaucoup chanté avec Canaro) et les frères Malerba. À son retour en Argentine, il crée de nouveau un orchestre mais qui dure peu de temps car il préfère partir avec Fresedo aux États-Unis pour une grande tournée, en 1931.

Caló est à gauche

Il commence à composer et même s’il n’a pas été un compositeur prolifique, il n’en demeure pas moins que ses œuvres (souvent composées avec Osmar Maderna) sont de grande qualité comme Jamás retornarás, Dos Fracasos, Que falta que me hacés,  Que te importa que te llore, etc. Il commence à enregistrer dès 1932 avec Milonga Porteña chantée par Román Prince.

Jamás retornarás

Dos Fracasos

L’année 1934 est fondamentale car elle marque la création de son orchestre véritable qui cette fois-ci perdurera pendant de longues années pour le plus grand bonheur des danseurs du monde entier. Il s’entoure de musiciens et de chanteurs très talentueux comme Miguel Nijensohn, Alberto Morel et Carlos Dante qui chantera beaucoup avec Alfredo De Angelis.

En 1939, il fonde un orchestre qui marque la seconde étape de sa carrière, celle de la maturité, dans lequel joueront d’excellents musiciens qui plus tard créeront leur propre orchestre tels que Federico, Francini, Pontier, Maderna, etc. La qualité de cette formation musicale était si élevée que cet orchestre a été appelé Miguel Caló y su Orquesta de Las Estrellas (l’Orchestre des stars).

Il fait aussi appel à de grandes voix comme celles de Raúl Iriarte, Alberto Podestá et surtout Raúl Berón (qui chantait du folklore à l’origine), ce dernier ayant été présenté à Caló par Pontier. Les débuts de Berón avec Caló n’ont pourtant pas été simples lors de leur passage à la radio. En effet, la direction de la station radiophonique, mécontente de la qualité de la voix de Berón a demandé à Caló de ne plus collaborer avec lui, l’obligeant à son corps défendant, à se séparer de son chanteur qu’il appréciait tout particulièrement. Mais il se trouve que par un curieux concours de circonstances, Caló et Berón avait déjà enregistré un disque qui est sorti très peu de temps après l’arrêt de leur collaboration à la radio. Ce disque contenait le tango Al Compás del Corazón qui a obtenu un succès fulgurant auprès des danseurs et qui a atteint des sommets dans les ventes. La direction de la radio a alors reconnu son erreur et a finalement félicité Caló pour le choix de son chanteur qui fera une immense carrière par la suite (voir note 2).

Al Compás del Corazón

En 1944, Osmar Maderna remplace Miguel Nijensohn au piano alors que plusieurs musiciens quittent son orchestre pour voler de leurs propres ailes (voir note 3). La nouvelle formation, certes de qualité, n’atteindra pas l’excellence de la précédente. Durant toute cette période, Caló n’a pas hésité à jouer pour la première fois de nouvelles compositions de ses propres musiciens comme Al Compás del Corazón (de Federico), Pedacito de cielo (de Francini) , pour ne citer que ces deux exemples.

Pedacito de cielo

En 1961, il crée de nouveau un orchestre comparable à celui de son heure de gloire avec les musiciens et chanteurs comme Federico, Pontier, Francini, Berón, Podestá qui participent à des émissions publiques à Radio El Mundo ainsi qu’ à l’étranger (Brésil, Uruguay  notamment).

Il existe à cet égard une bande-son très rare à l’immense valeur historique de la radio chilienne qui permet de se faire une idée précise de l’ambiance et du jeu de Caló en direct notamment dans une version d’El Choclo époustouflante (voir note 4).

El Choclo à la radio chilienne

Il meurt en 1972.

Sa musique est toujours présente et appréciée dans les milongas du monde entier. De très grands danseurs la choisissent pour leurs démonstrations en public comme Geraldine Rojas et Javier Rodriguez :

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LE STYLE DE MIGUEL CALÓ

Le style de Miguel Caló se caractérise par deux traits principaux. En premier lieu, par la finesse de sa musique tant instrumentale que vocale dans laquelle le piano joue un rôle majeur. En second lieu, il a réussi la synthèse difficile à réaliser consistant à conserver la couleur des tangos traditionnels des années 1920-1930 en y incorporant les nouvelles conceptions qui sont apparues dans les années 1940 en matière d’orchestration sans toutefois les développer à outrance. Il se rapproche donc de Fresedo pour la couleur de la mélodie et de Di Sarli pour l’orchestration. Il apparaît dès lors comme un musicien qui s’inscrit dans l’équilibre entre deux écoles – l’école traditionnelle et l’école moderne – ce qui explique la longévité de sa carrière qui a connu un succès constant alors que les orchestres qui n’avaient pas voulu ou pas su s’adapter à l’évolution du tango, avaient soit disparu soit connu de moins en moins de succès face aux formations à l’incroyable développement comme celle de D’Arienzo, Biagi, Pugliese pour ne citer qu’elles.

Caló avec ses musiciens et chanteurs

La mélodie est toujours présente mais reste mesurée et sobre en ce sens qu’elle n’écrase pas les autres aspects comme le rythme ce qui rend la musique de Caló agréable à écouter mais toujours dansable.

De même le rythme bien marqué par les bandonéons est toujours présent mais sans être excessif (sauf dans certains morceaux très spécifiques comme le candombe Azabache) offrant ainsi une cadence régulière très appréciée des danseurs du monde entier.

Azabache

Dans cet extrait de film, on voit bien la structure de l’orchestre de Caló avec la place importante des bandonéons et violons et surtout, on peut le voir diriger alors que chante Héctor Palacios :

Le rôle des violons qui sont très bien exposés est très important mais c’est surtout le piano qui joue un rôle fondamental dans l’architecture générale de sa musique en ce sens que le clavier a pour fonction de lier les phrases musicales. Cet élément est très important car il permet aux danseurs de bien identifier le discours musical et de partir au bon moment (par exemple en repérant les mesures ou le piano joue seul et assure la liaison entre les phrases). Cette caractéristique pianistique était étroitement liée à la « griffe » de Miguel Nijensohn qui dès 1934 a donné cette marque au style de Caló que poursuivra aussi le pianiste Osmar Maderna.

Ces qualités artistiques se retrouvent dans toute la partie vocale de son œuvre avec les chanteurs Berón, Podestá, Dante et Iriarte, avec toutefois un tempérament : on trouve plus de lignes mélodiques avec Berón et plus de rythme chez Podestá ce qui s’explique par la nature de leurs voix. Par ailleurs, les tangos sont souvent précédés d’un long prélude orchestral comme le faisait Angel D’Agostino par exemple.

Ces morceaux permettent de se faire une idée précise sur les différents timbres de voix de ses chanteurs principaux : Berón dans Que Te Importa que Te Llore, Podestá dans Tu el Cielo Y Tu, Iriarte dans Flor de Lino, Dante dans Caballo de Calesita (voir note 5).

Berón

Podestá

Iriarte

Dante

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NOTES

1) La région des Pouilles dont était originaire la famille Caló faisait partie de l’Empire Grec (on l’appelait alors l’Apulie). Caló vient du grec kalos qui signifie magnifique.

2) Dans l’histoire du chant, il est arrivé qu’un chanteur ou une chanteuse soit la victime de la cécité des responsables de maisons de disques qui n’ont pas compris les réelles qualités de telle ou telle voix et le monde de l’opéra n’a pas été épargné.
Ainsi des chanteuses comme Magda Olivero, Leyla Gencer par exemple, adulées sur les scènes lyriques du monde entier pendant des années et des années n’ont pratiquement pas laissé d’enregistrements car elles étaient oubliées de l’industrie du disque. Heureusement, les disques « pirates » sont là pour témoigner de leur talent époustouflant. Cet aveuglement des maisons de disques est d’autant plus consternant que dans le même temps, il leur arrivait de faire enregistrer des chanteuses ou chanteurs n’ayant pratiquement aucun talent et qui ont fait une carrière d’une brièveté qui elle, était bien en adéquation avec la qualité de leur voix.

Dans son livre The King relatif à Pavarotti, Herbert Breslin montre bien les aberrations concernant l’engagement de tel ou tel artiste parfois lié à des données conjoncturelles, en fait commerciales dans un pays précis, bien loin des exigences artistiques.

Parfois, on a le phénomène inverse quand une personne très compétente ou visionnaire comprend ou devine un immense talent caché. Ainsi Rolf Libermann quand il était Directeur de l’Opéra de Hambourg et personne éminente du monde musical, a auditionné un très jeune ténor. Le jour de l’audition, ce chanteur a plutôt fait un examen de passage très moyen et a même raté quelques aigus. Tout directeur l’aurait gentiment remercié. Libermann, malgré cette prestation qui n’avait rien d’enthousiasmant, a immédiatement compris l’exceptionnel potentiel de ce chanteur et il l’a tout de suite engagé. Dès l’année suivante, ce ténor débutait au Met de New York, à la Scala, etc., et a été adulé sur les scènes lyriques du monde entier et c’est l’artiste qui a sans doute le plus enregistré. Son nom : Plácido Domingo…

3) Considérant que la vie est un éternel cycle, Caló encourageait même ses musiciens à le quitter pour créer leur orchestre.

4)  À cette époque, les concerts radiophoniques étaient très fréquents et dans de nombreux genres musicaux dont les variétés et l’opéra tant en Europe qu’aux Etats-Unis. Certaines radios avaient même leur propre orchestre.
En Italie, les célèbres concerts de la RAI avec Beniamino Gigli, Maria Callas, Renata Tebaldi, Mario Del Monaco, etc. étaient attendus avec impatience. C’est du passé car la situation actuelle de grandes institutions italiennes en matière musicale est devenue très difficile en raison des coupes sombres opérées par le gouvernement italien de l’époque Berlusconi dans le Ministère de la Culture avec toutes les conséquences que cela implique. Cet état de fait a été vivement critiqué par le grand chef d’orchestre Riccardo Muti lors d’une représentation historique de Nabucco de Verdi à l’Opéra de Rome où le maestro invite la salle à reprendre le célèbre Va pensiero :

À la radio-télévision française, il y avait aussi une formation musicale : l’orchestre national de l’O.R.T.F. Dans certaines retransmissions radiophoniques d’ouvrages lyriques, il arrivait que le présentateur décrive ce qui se déroulait dans l’action en pleine retransmission !

En ce qui concerne le tango argentin, il existe certaines bandes sonores exceptionnelles de musiciens célèbres.
Ainsi Carlos Di Sarli a donné sa meilleure version de A la Gran Muñeca en 1952 à Radio El Mundo.

Alfredo De Angelis a donné sa meilleure version de Soñar y Nadá Mas avec Carlos Dante et Julio Martel lors de l’émission El Glostora Tango Club à Radio El Mundo.
Aníbal Troilo a donné de fabuleuses exécutions à cette même radio.

L’interprétation à la radio, malgré un son imparfait, est en règle générale bien supérieure aux enregistrements en studio car on retrouve la tension, l’urgence et l’émotion du direct. Il est dommage que des trésors qui existent incontestablement dans les archives ne soient pas exploités et diffusés. Ils auraient un succès phénoménal de nos jours même s’il est vrai que cela représenterait un important travail.

5) Les chanteurs ayant collaboré avec Caló sont : Raúl Iriarte, Raúl Berón, Alberto Podestá, Carlos Dante, Roberto Arrieta, Lucho Gatica, Roberto Rufino, Raúl Ledesma, Jorge Ortiz, Héctor Gagliardi, Raúl Del Mar, Luis Tolosa, Juan Carlos Fabri, Ricardo Blanco, Román Prince, Carlos Barbé, Roberto Luque, Roberto Caló (un de ses frères), Héctor De Rosas, Luis Correa, Mario Cané, Miguel Martino, Carlos Almagro, Carlos Roldán, Alfredo Dalton, Roberto Mancini.

Les voix féminines sont très rares chez Caló : Aida Denis et Chola Luna pour quelques enregistrements seulement.

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DISCOGRAPHIE

Pour une bonne connaissance de la partie instrumentale de la musique de Caló :

Pour bien connaître la partie chantée de son œuvre avec ses plus grands interprètes :

Pour approfondir la musique de Caló avec des interprètes spécifiques, la Collection Reliquias est très bien faite :

Et toujours les merveilleux disques de collection :


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