Pesenti A.J. ou le tango kaléidoscopique.

L’orchestre d’Auguste-Jean Pesenti a fait les beaux jours des amateurs de danse dans le Paris des années 1930 (voir note 1).
Né à la fin du XIXe siècle, Pesenti a eu une triple activité de compositeur, chef d’orchestre et bandonéoniste.
En 1922, il joue au Mikado situé au 55, boulevard de Rochechouart à Paris ainsi que le rappelait La Semaine de Paris. Le fait marquant de sa carrière est sa prise de fonction, en 1933, de l’orchestre du Coliséum souvent appelé Orchestre sud-américain du Coliséum de Paris (voir article le tango à Paris entre 1920 et 1955 pour plus de détails).
Marcel Pagnoul, compositeur et chef d’orchestre, écrivait : « Juan Pesenti fut un des premiers Français qui prit l’initiative de former un orchestre tango. Cette tâche qu’il s’était assignée ne fut pas des plus faciles à résoudre, mais, grâce à sa grande persévérance et à sa faculté d’organisation, il arriva petit à petit à réaliser son rêve, et à l’heure actuelle, Pesenti, possède un orchestre de grande valeur qui, certainement, fait beaucoup d’envieux ; aussi, le « Coliséum » de Paris n’hésita pas à l’engager pour une longue durée ».

Le Coliséum situé au 65 boulevard de Rochechouart était l’un des plus célèbres établissements de danse de Paris qui avait une excellente réputation notamment auprès des étrangers.
Ainsi, un journal français rapporte une anecdote :
« L’autre soir, au Coliséum, étant seul dans une loge, un garçon vint me demander s’il pouvait disposer des places restées libres ; sur ma réponse affirmative, il mit à côté de moi deux étrangers : un homme et une femme. Ils voulaient faire leur commande mais leur élocution française était tellement approximative que le garçon n’y comprenait goutte. Voyant cela, je me suis mis à leur disposition et lorsque le garçon satisfait fut parti, je leur demandais si c’était la première fois qu’il venait au Coliséum. La femme me répondit : « Non ! Chaque fois que nous venons à Paris, nous allons au Coliséum, car c’est un des seuls endroits à Paris où l’on puisse danser agréablement, les orchestres y sont toujours de premier ordre et la piste suffisamment spacieuse ». Cette phrase devrait terminer mon article, car elle résume les principales qualités de cet établissement auquel une direction intelligente et à la page a su conserver une réputation mondiale et méritée.
Les attractions y sont toujours de premier ordre. […].
Pesenti, avec son merveilleux orchestre, apporte la note nostalgique en exécutant les tangos d’une façon si magistrale […].
J’aime la danse et je l’avoue, lorsque j’ai envie de bien danser, je ne cherche pas : je vais droit au Coliséum… et je ne suis pas le seul ».

Le Coliséum accueillait aussi l’orchestre de jazz de S. Mougin et l’orchestre biguine de Parker.

Souvent, pendant qu’il jouait au Coliséum, son frère René jouait à Luna Park.


En 1934, ainsi que le rapporte La Revue de l’Écran, il anime la soirée qui suit la représentation des Misérables (le film de Raymond Bernard avec Harry Baur et Charles Vanel), et exécute les morceaux les plus brillants de son répertoire. L’orchestre de jazz de Ray Ventura participait également à cette soirée mondaine.
En 1936, il est en charge de la production au Moulin-Rouge, autre lieu prestigieux.
En 1938, il joue toujours au Coliséum comme le mentionne Le Monde Illustré. Il se produit aussi « en attraction sur la scène à l’ouverture du nouveau et somptueux cinéma Roxy au pied du Coliséum ».


En 1942 il joue au Nox.
Il se produit également plusieurs fois à l’Empire. À la suite de sa prestation dans cette salle célèbre, un journal note dans un article intitulé L’orchestre J. Pesenti à l’Empire :
« Notre ami, Juan Pesenti, a présenté à l’Empire, un numéro très varié et qui a été fort bien accueilli par le public. […]. Les danseurs étaient merveilleux de grâce et d’élégance ; ils furent très applaudis et considérés à juste titre, comme les vedettes de ce numéro.
Félicitons donc J. Pesenti sur son activité artistique et commerciale » (voir note 2).
Après s’être imposé au dancing comme étant à la tête d’un des premiers orchestres de Paris, il enregistra sur disque dans différentes maisons, entre autres Columbia.
À l’Empire, il vient de faire une excellente démonstration en faveur du tango. […] ».

Un critique note aussi : « A.J. Pesenti, bien connu du public à l’heure actuelle par la diffusion de ses disques de tango, prépare un numéro de scène qui va débuter incessamment.
L’orchestre sera composé de onze musiciens, et Pesenti s’est assuré le concours de la chanteuse Nita Garcia, très populaire, en particulier, dans le Midi de la France.
Le numéro consiste en un sketch musical, composé de chant et danse. Le sketch est de M. Dermond, et les arrangements musicaux d’Andolfi.
Le « tour du monde de la musique », ainsi est dénommé son numéro, nous fera entendre tour à tour des tangos, fox-trot, et autres musiques de danse en vogue. Une scène : le musette de Paris nous permettra d’applaudir un nouveau tango, avec lequel Pesenti escompte remporter un gros succès, et dont la musique est de son frère René, Sous les Ponts » [enregistré par Fréhel avec l’orchestre de Pierre Chaignon].

À l’Empire

Pesenti a également joué à l’étranger, notamment en Afrique du Nord. À titre d’exemple, il joue à Tunis dans le plus chic dancing de cette ville, le Lido.

Par rapport à son immense succès et à sa grande notoriété, Pesenti a relativement peu enregistré. Ses enregistrements ont été effectués chez Columbia et Pathé de 1927 à 1940. En 1932, il enregistre Ultimo adíos chanté par Jean Sablon pour le film La fin du Monde. Il a également enregistré pour la marque peu connue Azurephone. La société Azureum L. François et Cie, avait déposé en 1929, au greffe du tribunal de commerce de la Seine, la marque Azurephone qui désignait des phonographes, disques de phonographes, appareils enregistreurs et reproducteurs de son. Elle était située au 13, boulevard de Rochechouart, c’est-à-dire à quelques encablures du Coliséum et on peut raisonnablement penser que Pesenti et cette société ont pu facilement nouer des relations d’affaires.


La critique n’a pas toujours été tendre avec lui concernant ses disques. Ainsi, à propos de deux de ses enregistrements, un critique notait :
« Le premier de ces tangos [Pobre Pibe, 1930] est insipide. Pesenti nous le fait entendre dans toute son insipidité, sans chercher à la masquer par quelques artifices. Mais y avait-il quelque chose à trouver dans une œuvre aussi plate, aussi dénuée d’intérêt ?
Le second [Le Tango du Chocolat, 1930] est mieux écrit, mais n’est pas beaucoup dans le genre. L’exécution est simple, sans relief.
Il nous est tout à fait pénible de constater que certains orchestres de tango dont la renommée n’est plus à faire, consentent à des enregistrements qui peuvent les discréditer. Ce n’est pas la première fois malheureusement que ce cas se produit et c’est d’autant plus regrettable que cela soit fait par des orchestres typiques ».

La critique n’a pas toujours été aussi acerbe, loin s’en faut. Ainsi, à propos de Mon cœur a rencontré ton cœur et Lorsque tu te reposes, deux morceaux gravés chez Pathé, un journal note :
« Avec ce disque Pesenti atteint la perfection ; c’est le meilleur qu’il ait fait jusqu’à présent. Le premier tango magnifiquement orchestré est une variété qu’on ne rencontre que trop rarement. Les violons y sont parfaits, leur sonorité est claire et fluide ; les bandonéons sont ce qu’ils sont toujours, c’est-à-dire uniques. Le second tango d’un dessin aussi plaisant qu’original bénéficie, en outre, de la voix chaude et caressante d’Armengol [Emilio Armengol, 1901-1975]. Ce chanteur est nettement en progrès et en passe d’éclipser la plupart de ses pareils ; le chorus qu’il chante dans ce tango est bien près de la perfection ».

Le Ménestrel note en 1938 à propos de deux enregistrements chez Pathé que Pesenti « nous proposent deux excellents tangos […]. Le rythme en est langoureux à souhait, scandé sans mollesse, et le refrain nous vaut l’agréable voix de Marcel de Lanos ».

S’agissant des tangos chantés qui sont nombreux, il est frappant de constater la variété des interprètes qui sont souvent éloignés du monde du tango stricto sensu. Ainsi, on retrouve des artistes comme Réda Caire (Si tu reviens, 1936), Tino Rossi (T’aimer,1933) , Jean Sablon, Marcel de Lanos, Nita Garcia (La Garçonne, 1934), Nena Sainz, Rosette Guy (Paris Chéri !, 1932), Guy Berry, Jean Clément, Andrex, Simone Finot, Nino Costa, Luis Esteban Mandarino, Jean Raphaël, Jean Dubonnay (Cueillir vos lèvres, 1932).

En tant que compositeur, on lui doit notamment Tahiti (1932), Pour un seul mensonge (1933), Apprenez-moi des mots d’amour (1934), Dans vos yeux (1945).


Il meurt en 1952.

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LE STYLE DE A.J. PESENTI

Étudier le style de l’orchestre de Pesenti nécessite de se replacer dans le contexte de l’époque et plus précisément dans le climat du tango à Paris durant les années 1930. Comme pour la plupart de ses collègues, son seul but était de faire danser. Mais il ne faut pas oublier que les établissements consacrés uniquement au tango n’étaient pas très nombreux contrairement à l’époque actuelle, et qu’en outre, le tango s’inscrivait dans le cadre plus général de la musique consacrée à la danse fortement marquée par une couleur déterminée par les dancings et autres cabarets. En d’autres termes, le tango n’était pas une musique thématique, sauf exception, mais s’inscrivait dans un univers musical très varié. Cette caractéristique se retrouvait dans plusieurs pays européens comme le montre cette vidéo très instructive :

Cela explique en grande partie le style de Pesenti qui se caractérise par une hétérogénéité tant au niveau de la musique que des interprètes, principalement les chanteurs, où sa musique de tango parfois très typique, peut aussi s’avérer éloignée des canons du genre élaborés par les grands maîtres argentins.
Il y a donc une sorte de dichotomie stylistique très marquée entre le tango traditionnel et une musique qui s’en approche, ou s’en éloigne, aboutissant au tango romance (Mon inconnue aux yeux de rêve, 1936) voire au tango sérénade (Violetta, 1938), où la place du chanteur est prépondérante, parfois trop importante.

Milongueando

Duello criollo

Tahiti

Ce côté ambivalent a été parfois indirectement souligné par des documents informatifs. Ainsi, dans le cadre d’une nomenclature, déterminant un certain nombre d’orchestres musettes et d’orchestre typiques des bals populaires (ce qui confirme que le tango s’inscrivait dans l’univers de la danse en général), on peut noter que l’orchestre de Pesenti côtoie les orchestres de Frédo Gardoni, Yvette Horner, Jo Privat, Louis Ferrari, Émile Prudhomme, etc.
Il est donc nécessaire de connaître les deux aspects de sa musique.

À cet égard, les titres des morceaux constituent un bon indicateur pour déterminer le style musical. Sans en faire une règle absolue, il apparaît que les morceaux dont les titres sont en espagnol constituent réellement des tangos typiques alors que ceux dont les titres sont en français constituent plutôt des morceaux adaptés à la variété ou à la musique de dancing.

Une des caractéristiques de cet orchestre concerne la différence de qualité des musiciens. Le pupitre des bandonéons se caractérisait par une supériorité par rapport aux autres membres de l’orchestre.

S’agissant des tangos typiques, il apparaît que le rythme prédomine sur la mélodie. En règle générale, il s’agit d’un rythme qui rappelle beaucoup celui de Francisco Canaro mais dans certains cas, ce rythme omniprésent et important peut s’avérer lourd principalement dans les tangos instrumentaux ; cela est moins vrai pour les tangos chantés. Cela s’explique par un marquage rythmique effectué par la majorité des instruments, une sorte de jeu à l’unisson qui crée parfois une expressivité qui manque de finesse même si dans certains cas des pizzicati de violon viennent adoucir la lourdeur de l’ensemble. On est loin de la diaphanéité de certains orchestres.
Cette lourdeur rythmique écrasante est parfois aggravée par des enregistrements de qualité médiocre se traduisant par des grincements sans charme. On retrouve cela par exemple dans Le tango du chocolat et Pobre pibe dont les tutti, à juste titre, avaient donné lieu à une mauvaise critique.

L’utilisation du piano n’est pas homogène. Dans certains cas, le piano assure le marquage du rythme de façon forte et importante (Duello criollo, 1928) alors que dans certains morceaux, il assure plutôt la liaison entre les phrases musicales (Perdono tanto cariño, 1930 ; Tu m’abandonnes, 1947).

La même remarque vaut pour le violon qui peut être prédominant par rapport aux autres instruments (Como se pianta la vida, 1930) ou être relativement effacé, au second plan, (Bandoneón, 1927).
Un article notait que « les violons font preuve d’une sonorité aussi jolie que leur style est expressif ».

Les tangos chantés sont quantitativement importants. Le tango Si tu reviens a été enregistré trois fois en 1936 (deux fois par Réda Caire et une fois par Nino Costa).

Il y a de nombreuses différences stylistiques entre les chanteurs tant au niveau du timbre que de l’interprétation.

Il convient de s’attarder sur deux morceaux chantés d’une part, par Nena Sainz et, d’autre part, par Marcel de Lanos : Poema (1933) et Violetta (1938).
Nena Sainz était une chanteuse atypique dont la voix n’était pas sublime mais qui avait un fort pouvoir expressif (voir note 3).
Un article notait : « Créatrice de tous les succès argentins Nena Sainz, après un gros succès, en orchestre argentin dans les principaux établissements de Barcelone, Madrid, Buenos Aires, Valence, Séville, etc., est venue en France où on l’a vue durant quatre ans, chanter au Palm Beach de Cannes, au Beach de Monte-Carlo, au Café de Paris de cette même ville, aux Ambassadeurs de Paris, au Ciro’s, au Chantilly puis au Lido.
Après une absence que nous pourrons qualifier de longue, Nena Sainz nous est revenue et a débuté en même temps que le célèbre chef d’orchestre Teddy Hill au Cotton Club (Moulin Rouge).
Nous espérons que la créatrice du grand succès Poema, record de la vente du disque, reprendra bientôt ses enregistrements chez Odéon ou chez Columbia pour la plus grande joie des amateurs du tango » (en 1933, elle enregistre Arroyito avec Pesenti ainsi que Paris…Paris). Son interprétation de Poema qui a la particularité de comporter un passage parlé s’avère extrêmement intéressante malgré une voix qui n’est pas idéalement placée.

Poema

Le tango Violetta s’inspire directement de La Traviata de Giuseppe Verdi créée en 1853 à La Fenice de Venise. Les arrangements sont d’Armengol. On retrouve de fortes réminiscences du prélude de l’acte I en ce qui concerne le début du tango et en arrière-plan, un mélange des préludes de l’acte I et de l’acte III.
Les paroles quant à elles sont éloignées du livret de Francesco Maria Piave.

Les chanteurs ont parfois un rôle trop prépondérant et exposé. Dans ce cas, l’orchestre passe au second plan ce qui évidemment ne facilite pas la danse. C’est ce qu’avait remarqué un critique qui écrivait « après un brillant tango d’orchestre, cet ensemble se cantonna dans le rôle d’accompagnateur du chanteur [Giliberti] et des danseurs ».
Parfois, des morceaux qui avaient été insérés dans un spectacle, pris isolément, présentent un intérêt moindre comme ce fut le cas pour Che Qué Maravilla interprété par Jean Sablon en 1931 qui faisait partie d’une revue donnée au Palace (voir note 4).

Si tu reviens par Réda Caire

Mon inconnue aux yeux de rêve par Nino Costa

Como se pianta la vida

Une des raisons du succès de Pesenti tenait à la qualité des bandonéonistes, à savoir Héctor Artola et Ernesto Remondini.
En 1932, un critique notait à propos de deux enregistrements (Tucumán et Rosarino) que « le pupitre de bandonéons s’y montre d’une virtuosité sans égale ».

Héctor Artola (1903-1982), était très apprécié.
Un article le présente ainsi : « Comme beaucoup d’excellents instrumentistes du tango, il vient de l’Amérique du Sud. Après avoir fait toutes ses classes à Montevideo (Uruguay), il devint étudiant ; mais la musique le passionnait énormément et il apprit le piano. Bientôt, ayant entendu jouer du bandonéon, il se sent une vocation pour cet instrument, délaisse le piano et prenant exemple sur Maffia – qui est en Argentine le premier bandonéoniste pour les tangos – il s’éprend de cet instrument et l’étudie jusqu’à sept ou huit heures par jour et six mois après, voyait ses efforts couronnés de succès, en faisant partie de l’orchestre Donato-Zerrillo.
Fin 1927, voulant connaître l’Europe et tout particulièrement Paris, il s’embarque et dès son arrivée, débute aussitôt avec l’orchestre Bianco-Bachicha – à cette époque très en vogue – et sympathise tout de suite avec ses camarades de travail parmi lesquels se trouvaient Francisco Alongi, son futur chef d’orchestre. Il quitte cet orchestre réputé cinq mois plus tard pour aller dans celui de Irusta-Fugazot-Demare en Espagne. Un an après, il retourne avec Bachicha pour faire avec cet orchestre une brève tournée et à son retour il entre dans l’orchestre de Francisco Alongi, où il est toujours du reste et où il compte rester encore longtemps.
Héctor Artola est un des meilleurs bandonéonistes qu’il puisse y avoir actuellement en Europe. Son jeu est purement personnel et son style pour interpréter les tangos est unique. Excellent dans la technique, il improvise à merveille et sait donner le maximum d’effets.
Héctor Artola est un modeste que beaucoup de bandonéonistes prennent exemple sur lui et copient, sans la moindre arrière-pensée, un peu sa façon d’interpréter et ils s’en trouveront eux-mêmes avantagés ».

Indépendamment de ses qualités interprétatives, il était d’une certaine façon un théoricien du tango. Il a exposé certaines de ses idées sur le bandonéon dans des revues.
Ainsi il écrivait : « De jour en jour, quoi qu’on en dise, le tango évolue, aussi bien au point de vue harmonisation qu’au point de vue du style. La partie de bandonéon devient de plus en plus ingrate pour le musicien qui tient à suivre le mouvement et surtout lorsqu’il faut faire des variations qui sont à mon avis presque toujours épuisées quant à leurs formes.
Je crois qu’il faut chercher des effets nouveaux, c’est-à-dire s’écarter de l’ancienne formule, variations de triples croches pendant tout un motif. Aujourd’hui presque tous les bandonéonistes font ces variations très bien et le public étant habitué n’y fait plus attention. […] ».

Héctor Artola

Ernesto Remondini

Ernesto Remondini avait également une solide formation musicale.
Un journal écrivait à son propos :
« C’est un musicien et un instrumentiste doué et cultivé. Il a fait à Buenos Aires de solides études de piano ; études qu’il a continuées et approfondies à Paris […].
Un jour, comme passe-temps, pour se délasser de ses études de piano et d’harmonie, il achète un bandonéon. Il s’amuse à jouer sur cet instrument des pièces de piano et en quelques mois acquiert un mécanisme d’une rare sûreté.
Remondini est un instrumentiste presque parfait […]. Il atteint les limites de la virtuosité ; s’il n’en fait pas plus, c’est que l’instrument ne le permet pas.
Vous savez que le bandonéon n’a pas le même doigté en tirant qu’en poussant et que certaines choses sont plus faciles à faire dans un sens que dans l’autre (voir article sur le bandonéon pour la différence entre bandonéon chromatique et le bandonéon diatonique).
Remondini ne s’en soucie pas. Je l’ai vu à El Garrón s’amuser à jouer toute une soirée en marquant un coup de soufflet par temps sans jamais se soucier de ce qui venait et sans jamais se trouver gêné.
Il n’étudie jamais. Pourquoi faire ? Que pourrait-il faire de plus ? Quand il a un loisir il se met au piano et c’est à ce moment qu’il est pleinement heureux ; car là le but n’est jamais atteint, plus on avance, plus il se recule.
Il joue, non sans quelque nostalgie, les morceaux qui le firent applaudir il y a quelques dix ans dans les récitals à la Salle Gaveau.
Ernesto Remondini a un double don de réception et d’analyse vraiment surprenant. Il lui suffit d’entendre une fois ou deux un morceau pour que, non seulement, il le sache par cœur, mais que, également, il se trouve imprimé pour toujours dans un repli de son cerveau.
Certes, au point de vu tango, son style n’est pas toujours des plus typiques et il n’atteint pas la personnalité d’un [Pedro] Maffia ; mais néanmoins c’est un musicien et un instrumentiste de grande classe.
Il a travaillé à Buenos Aires avec Racho et Delfino et à Paris avec Ferrer et Pizarro. Il est depuis deux ans au Coliséum avec Pesenti ».

Dans un autre journal, ses qualités sont mises en exergue : « Ernesto Remondini, grand virtuose du bandonéon qui, à mon avis, est sur cet instrument le plus remarquable technicien qu’il y ait sur la place et dont les qualités musicales seraient trop longues à énumérer […] ».

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NOTES

1) S’agissant d’Auguste-Jean Pesenti, on trouve plusieurs dénominations qui concernent le même homme : Juan Pesenti, Jean Pesenti, Pesenti. En revanche, René Pesenti ne concerne pas ce musicien ; il s’agit de son frère.

2) Dans le cadre de son article, le critique tourne en dérision un de ses collègues :
« À propos de ce spectacle, on a pu lire dans le journal un compte rendu de M. G. Le Cardonnel, qui montre combien la critique fait son métier sérieusement. Après avoir parlé de Pesenti et sa « gauchada », il conclut que c’est l’un des plus remarquables jazz qu’il connaisse !!! Évidemment, ce n’est pas mal et ça a surtout l’avantage d’être nouveau !… Et quand on pense que ce sont de semblables critiques qui parlaient de la mort du jazz, c’est vraiment drôle ».

3) La fille de Paulet qu’on appelait La Lionne en raison de son abondante chevelure rousse avait une voix si charmante et belle qu’on dit qu’un jour, trois rossignols moururent de jalousie en l’entendant chanter. (On dit aussi qu’Henri IV serait passé la voir quelques heures avant sa mort alors qu’il se rendait au chevet de Sully qui était malade). Ce compliment ne peut pas être appliqué à Nena Sainz, mais il n’en demeure pas moins qu’elle est incontestablement une chanteuse qui avait une voix séduisante, bien caractérisée et originale dans le bon sens du terme.

4) Né en 1906 à Nogent-sur-Marne, Jean Sablon était appelé le Crosby français. Très célèbre en France, il a fait partie des rares artistes français à avoir une carrière internationale. Son incursion dans le tango pour surprenante qu’elle soit s’explique par deux points. En premier lieu, il a eu avec l’Argentine une relation importante dans la mesure où sa marraine habitait Buenos Aires. Il y est allé régulièrement pour la voir en compagnie de ses parents et de ses frères. C’est lors d’un de ces voyages que son frère a composé Che qué maravilla et Ultimo adiós que Jean Sablon enregistre dès son retour en France, en 1931. Ces deux morceaux faisaient partie de la Revue Argentine montée à Buenos Aires avant d’être présentée en Espagne et en France. À Paris, cette revue est produite au Palace alors dirigé par Oscar Dufrenne et Henri Varna, avec la grande vedette Gloria Guzmán et lui. C’est avec elle qu’il chante le duo Che qué maravilla. Un peu plus tard, les directeurs du Palace créent une autre revue, Paroles de Femmes. C’est à cette occasion que Jean Sablon rencontre Carlos Gardel qui faisait partie du spectacle.
En 1939, Jean Sablon est accueilli triomphalement à Buenos Aires par de grands artistes argentins dont Eva Duarte qui allait épouser quelque temps plus tard Juan Perón. Il donne des concerts dans plusieurs grandes villes argentines comme Rosario, Córdoba, Mar del Plata.
En 1947, il enregistre A media luz à New York mais il change le titre qui devient Tell me Marianne.

Tell me Marianne

Il meurt en 1994.

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DISCOGRAPHIE



2 Commentaires (+ vous participez ?)

  1. Didier PONCE
    Jan 03, 2019 @ 15:37:49

    Il y a 3 ou 4 ans, Luis SANZ a organisé quelques milongas au Mikado. Je m’y étais précipité pour vivre ce que Léo Ferré décrit dans « Le temps du tango ».
    Comme les tangueros ne boivent pas assez, les propriétaires rapidement ont mis fin à ces milongas 😦

    Réponse

  2. mob60
    Jan 03, 2019 @ 15:51:35

    Super interessant comme toujours !

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    Réponse

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